Déhà
n'est pas seulement un stakhanoviste, un Jess Franco du metal extrême dont
l'œuvre est grosse comme le bottin. Artiste complet, il est surtout un
touche-à-tout à l'aise dans tous les styles, du black au doom en passant par le
dark (pour faire vite et en occultant les nuances qui existent à l'intérieur de
ceux-ci) et ce, quand bien même une même noirceur infuse de chacun de ses projets
et autres collaborations. Cette polyvalence, il la doit à sa capacité, aussi
rare que précieuse, à toujours capturer ce qui fait l'essence, l'âme du genre
qu'il décide de visiter, faisant corps avec celui-ci. Il suffit d'écouter Slow
pour s'en rendre compte. Avec cette entité dont le simple nom en révèle déjà
toute la pétrifiée teneur, le lascar désormais basé à Sofia, a gravé quatre
offrandes depuis 2009. Macérant à l'origine dans les eaux troubles d'un ambient
aux confins du drone, cette chose solitaire glisse aujourd'hui vers les rivages
d'un doom funéraire de toute beauté, témoin ce "Mythologiae"
monumental, autant dans la forme (cinq pistes de plus de dix minutes au garrot
chacune pour une heure de douleur) que dans le fond, en cela que cette
quatrième hostie, si elle ne réinvente pas cette chapelle, s'apparente à une
véritable leçon, synthèse d'une musique qui porte la tristesse, la contrition,
le regret, au rang d'art. Écrites à l'encre noire du désespoir le plus profond,
des pièces telles que 'The Standing Giant' ou bien encore 'The Underground God'
sont des perles du genre dont Déhà aligne tous les invariants (lenteur
suffocante, ambiances sinistres, voix caverneuses...) avec un brio digne des
plus grands. On pense bien entendu aux esthètes finlandais, Shape Of Despair en
premier lieu mais aussi à la Sainte Trinité du UK Doom des années 90, pour ces
guitares tissant une toile dont chaque fil est une note de mélancolie. L'œuvre
a quelque chose d'un interminable - dans le bon sens du terme, s'entend -
dédale plongé dans une obscurité vaporeuse à travers laquelle filtre toutefois
de pâles rais de lumière qu'incarne le chant clair bien que parcimonieux du
maître des lieux ('The Suffering Rebel'), fragile pinceau qui en atténue la
noirceur. De fait, "Mythologiae", en dépit de son architecture
monolithique, n'en demeure pas moins presque mélodique, gravitant au bord d'un
gouffre de dépression sans jamais totalement s'abîmer dedans. Il s'agit donc
encore une fois d'une réussite à mettre à l'actif du musicien qui accouche là
d'une corde que tout bon masochiste ruminant son spleen se fera une joie de
passer autour de son cou ... 4/5 (2015)
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