Il
n'est jamais évident de revenir des limbes, surtout quand on a enfanté de
véritables tables de la loi du genre auquel on appartient, car attendu par
beaucoup, le risque de décevoir est grand. Tel est le cas de Tyranny qui, dix
ans après avoir offert au funeral doom deux calvaires qui en ont repoussé les
limites, dans les profondeurs de l'indicible,
où aucun homme n'avait encore jamais osé plonger, signe un troisième
album (en comptant le EP "Bleak Vistae" long de plus de 45 minutes !)
que nous étions nombreux à ne plus espérer. Et s'il y aura bien quelques
grincheux pour affirmer qu'avec "Aeons In Tectonic Interment", les
Finlandais se contentent de reproduire la recette ruminée par "Tides Of
Awakening", en moins bien forcément, force est pourtant de constater que
Matti Mäkelä et Lauri Lindqvist ont réussi leur résurrection, à la fois fidèles
à cette signature cyclopéenne qui a fait leur renommée et désireux d'évoluer,
continuant de façonner un art inimitable auquel peu ont tenté de se frotter. Pourtant,
de loin, en effet, Tyranny semble nous resservir les mêmes riffs désolés, les
mêmes plaintes telluriques capables par leur puissance souterraine de faire
trembler les murs d'une cathédrale ('Preparation Of A Vessel') mais de près, la
réalité se veut toute autre, bien que toujours aussi terrifiante de lourdeur. Reprenant
les choses là où il les avait laissées il y a dix ans, dans cette geôle
abyssale, le groupe fait évoluer un art aussi pétrifié que douloureux,
désormais moins brumeux et plus tangible, comme s'il se souvenait que le
funeral doom n'est à la base qu'une déclinaison plus suicidaire encore du doom
death, ce qu'illustrent les lignes de guitares granitiques minées par le
désespoir le plus absolu qui attirent, lors d'un final d'une charbonneuse
beauté, 'Bells Of The Black Basilica', et néanmoins pâle rai de lumière
filtrant à travers le sol. Rarement une œuvre aura autant collé à son visuel et
à son titre, corridor étouffant avalé par l'obscurité où se découpent des
silhouettes inquiétantes et dont les tentaculaires fondations sont secouées par
le chevauchement de plaques tectoniques
monumentales qui grondent depuis les arcanes de la terre. Bien qu'elles
oscillent entre sept et douze minutes environ, durée somme toute raisonnable eu
égard à un genre qui aime se répandre bien au-delà de ce format, ces
complaintes paraissent pourtant s'étirer plus, bien plus que cela. Leur lenteur
comateuse, leur absence de rythme participent de ce caractère aride et
(faussement) monolithique. Plus que jamais, Tyranny apparaît comme la plus
juste, et donc la plus effrayante, expression sonore de l'œuvre de Lovecraft.
Baignant dans une ambiance sombrement religieuse, "Aeons Of Tectonic
Interment" est comme le rituel mystérieux d'un culte millénaire. (2015)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire