Si l’on ne devait retenir qu’un seul album de Manuel Göttsching, ce qui serait dommage, E2-E4 a toutes les chances d’être l’heureux élu. Pourquoi ? Parce qu’il est pour beaucoup dans la vénération que porte toute la scène techno/trance pour son génial géniteur. Parce qu’il reste le coup de folie de l’Allemand. Parce qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre. Pourquoi un tel panégyrique ? Fermez les yeux et ouvrez grands vos conduits auditifs. Les 9 titres qui subdivisent ce disque ne doivent pas vous tromper, E2-E4 n’est en réalité composé que d’une unique piste de 59 minutes et 20 secondes. Sa genèse est intéressante et mérite que l’on s’y arrête. En 1981, après avoir publié un an plus tôt la dernière galette d’Ashra (Belle Alliance) et avoir collaboré une nouvelle fois avec son ami Klaus Schulze au sein de Wahnfried, avec lequel il vient de partir en tournée, le guitariste décide dans la soirée du 12 décembre de jouer tout seul dans son studio et de s’enregistrer. Le résultat ? Cette longue plage hypnotique basée sur une boucle électronique répétée à l’infini, colonne vertébrale sur laquelle se greffent peu à peu divers accords, interminable progression vers l’absolu. Bien qu’elle échappe à toute tentative de description, cette pièce, qui a le pouvoir de vous pénétrer profondément, se divise en fait en deux parties distinctes.
A une première moitié, intégralement dominée par les synthétiseurs, succède une seconde irriguée par la guitare stratosphérique du maître, une guitare qui s’envole très haut, plane, procure des frissons infinis, atteint l’extase céleste, l’orgasme ultime, la jouissance suprême et finit en fin de parcours par fusionner avec les sons enfantés par les machines. Bref, Göttsching vient de donner naissance à un monstre. Un monstre de beauté, de pureté certes, mais un monstre tout de même. Et surtout à priori invendable. Un album se résumant à un seul titre tient pour beaucoup du suicide commercial. Pourtant, c’était sans compter sur le patron de Virgin, homme audacieux et visionnaire. La légende veut que le musicien l’ait fait écouter à Richard Branson, qui finalement, en fin connaisseur de la chose, lui aurait énoncé en guise de verdict : "Manuel, you can make a fortune with that music". Il n’est peut-être pas devenu riche avec cette création qui ne verra en fait le jour qu’en 1984, mais elle lui aura en revanche permis de laisser des résidus à jamais présents dans l’esprit de toute une génération. On comprend en effet aisément pourquoi, tant E2-E4, aérien et obsédant, demeure une œuvre unique et rare, œuvre matricielle de tout un courant. Cette respiration au souffle contemplatif envoûtant, qui semble mourir avec le bruit du ressac, répand un bien-être, une envie de vivre communicative, salvatrice, elle irradie d’un bonheur immense. A savourer à l’infini… (2010 | MW) ⍖⍖⍖⍖
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