Le fait est acquis. Avec sa Panzer Division en 1999, Marduk a repoussé encore d'un cran les limites de la brutalité et de la rapidité d'exécution. Aller au-delà était impossible sous peine de se répéter. Ainsi, depuis ce méfait qui reste probablement aussi son plus célèbre, le groupe ne cesse, et non sans réussite, de s'éloigner de ce cadre, de prendre une direction inverse, quitte à perdre au fil des années une bonne partie de ses fans en route. Par conséquent, aujourd'hui la situation des Suédois tient du paradoxe : leurs derniers albums comptent parmi les meilleurs qu'ils aient jamais enfantés et pourtant nombreux sont ceux qui ne les suivent plus. Onzième pierre à son caveaux, Wormwood poursuit de fait l'évolution entamée avec Plague Angel il y a cinq ans, qui arborait, sous l'impulsion de son leader, Morgan, un autre visage de Marduk, moins sauvage, plus porté sur les ambiances bien que toujours aussi sinistre, si ce n'est davantage. L'enrôlement de Mortuus (Funeral Mist) au poste de chanteur pour remplacer un Legion pourtant très populaire auprès du public, fut le véhicule idoine permettant d'entrainer la plastique mardukienne au fin fond de méandres bourbeux. La vélocité d'antan demeure bien verrouillée dans sa geôle.
Mais est-ce à dire que le char d'assaut scandinave a perdu en négativité, en intensité ? Loin sans faut, bien au contraire car la grande force du groupe réside dans sa capacité jamais remise en question, à demeurer toujours aussi noir et mortifère. Et alors que des hordes telles que Belphegor ou Destroyer 666 fleurtent franchement avec quelque chose de mélodique lorsqu'ils serrent le frein à main, Marduk, lui, appuie sur l'interrupteur et creuse de profondes et sévères excavations. Le malsain "Funeral Dawn" se pose sans doute comme l'illustration la plus juste de ce qu'est le groupe en 2009 : tempo plombé et lancinant, chant comme expulsé d'un charnier fumant, atmosphères lugubres sculptées à la fois par des riffs abruptes et par de judicieuses nappes de claviers fantomatiques. Tout du long de ces dix pistes, on sent un fiel coulé, suint morbide qui les contamine toute, même quand les Suédois exaltent les forces brutes d'un black metal plus classique, à l'image des haineux "Nowhere, No-One, Nothing", "This Fleshy Void", "Into Utter Madness" et son final souligné par une basse squelettique, autant d'exemples qui n'ont pas à rougir en terme de fureur avec leurs aînés d'il y a dix ans. Néanmoins, on sent bien que c'est plus désormais vers les rivages arides d'un art noir mid-tempo, funéraire et minéral que tend l'inspiration de Morgan ("To Redirect The Perdition", "As A Garment"). Vierge de toute participation extérieure, contrairement à Rom 5:12 que rehaussaient la présence d'Arditi et de Alan Nemtheanga de Primordial et porté par la production grisâtre du bassiste Magnus "Devo" Andersson, Wormwood montre un groupe solidement ancré dans son socle, qui continue d'avancer, de creuser un sillon qui lui sied plutôt bien, ce qui lui permet de signer son ode la plus abyssale. La plus froide également. Moins brutale certes mais pour autant non dénuée d'intérêt : il faudra bien que certains Ayatollahs finissent par s'en rendre compte ! (2009) ⍖⍖⍖
Seconde chronique du même album écrite cinq ans plus tard
La situation actuelle de Marduk est assez paradoxale. Alors que le groupe n'a sans doute jamais été aussi bon, ayant retrouvé depuis l'enrôlement de Mortuus derrière le micro plus qu'un second souffle, son âge d'or semble loin désormais, apogée atteinte en 1999 avec Panzer Division Marduk que certains ont alors décrit, à raison d'ailleurs, comme le Reign In Blood du Black Metal, sorte de mètre-étalon du genre et ultime étape avant que l'homme ne se transforme en bête. Combien sont restés bloqués sur cette période des Suédois, quitte à minimiser la valeur de leurs dernières offrandes pourtant remarquables et non moins brutales que leurs devancières. Car, nous ne le répéterons jamais assez, mais en embauchant le chanteur de Funeral Mist pour remplacer un Legion que certains Ayatollahs regretteront toujours (à tort) et en décidant de partager son bébé, la musique enfantée par Morgan a gagné en puissance sinistre, en noirceur venimeuse, vomissant des atmosphères malsaines suintant de ces lignes vocales abyssales et soulignées par de lourds mid-tempos aussi implacables que lugubres. Après deux albums passés à forger cette nouvelle identité, grand était le risque de tourner en rond, de photocopier une recette éprouvée comme cela fut le cas avec "World Funeral" qui n'apportait pas grand chose de neuf par rapport à ses aînés. Wormwood ne tombe pas dans ce piège. Quand bien même il reproduit le schéma élaboré par Plague Angel et Rom 5:12, alternant de fait saillies barbares ('Nowhere No-One Nothing') et pulsations plus reptiliennes mais néanmoins toujours haineuses ('Funeral Dawn'), ce onzième opus poursuit subtilement l'évolution mortifère à l'oeuvre depuis ces dernières années sans pour autant se répéter. Plus proche que jamais de 'Funeral Mist', Marduk s'enfonce encore plus profondément dans l'indicible et la décrépitude la plus absolue, nasse nocturne et polluée à l'image de 'Into Utter Madness', 'Whorecrown' et ses dernières mesures aux confins de l'Ambient sans oublier surtout 'To Redirect Perdition', puissante composition aux relents de miasmes malsaines. Même les titres les plus rapides se parent de touches morbides qui en brisent la linéarité attendue, ce qu'illustre 'Phosphorous Redeemer', notamment.Techniquement impérial, même en l'absence du lapin Duracel Emil Dragutinovic derrière les fûts, Marduk confirme avec ce Wormwood imparable une inspiration renouvelée. Plus équilibré et maîtrisé que ses deux prédécesseurs, il couronne un travail collégial, celui du tandem Morgan/Mortuus désormais parfaitement rôdé... Peut-être un des meilleurs albums du groupe, tout simplement. (2014 | MW)
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