Glacial. Quand bien trop de hordes noires se vantent d'être plus froides qu'un cadavre à la morgue, alors qu'elles ne le sont souvent en fait pas tant que cela, Secrets Of The Moon, lui, grave effectivement un art qui possède la froideur de la roche en hiver. Chez les Allemands, tout est mis en oeuvre pour gommer toute trace de chaleur et d'émotions, depuis le fuselage idoine dû au maître Markus Stock, le producteur maison de Prophecy/Lupus Lounge, jusqu'au récent recrutement de la bassiste Hellsukkubus, furieuse activiste croisée chez Antaeus, Merrimack, Corpus Christii... Le chant vomi par Shammash Golden se veut tranchant comme une lame et les guitares sont coulées dans un gel éternel. S'il prend racine dans un substrat identique à celui de son aîné, le (déjà) impressionnant Antithesis, qui témoigna il y a trois ans que ses auteurs avaient acquis leur maturité artistique, Privilegivm lui confère une ampleur plus sombre et monumentale encore. Cette quatrième incision porte ainsi la matière brute forgées par les allemands vers une autre dimension, vers son paroxysme. On savait depuis l'oeuvre précédente que l'on tenait là un groupe unique au potentiel à peine encore exploité. On en a aujourd'hui la confirmation. Entre un prologue inquiétant ("Privilegivm") et un court intermède martial ("Descent"), l'architecture proposée tient de la forteresse tentaculaire dont les ramifications plongent dans les arcanes d'un monde privé de lumière. Implacable et vicié, "Sulphur" est une première et longue perforation (plus de neuf minutes au compteur) dont on ne sort pas indemne. Riffs grésillants qui ont quelque chose de scalpels labourant les chairs, socle rythmique minéral et lignes vocales qui raclent alimentent un black metal désincarné et terrassant.
Les ouvertures plus atmosphériques et les discrets choeurs féminins ne doivent pas vous tromper : Privilegivm est écrit à l'encre noire. Insondable, comme l'illustre la piste suivante, "Black Halo", qui n'écarte ses cuisses qu'après de longues minutes d'approche et dont le caractère profondément désespéré est chevillé à des lignes de guitares rampantes cependant que la marche qui lui succède, "I Maldoror", adopte des allures de magma granitique et noir malgré un final beau à en pleurer. Se déployant sur près de quatorze minutes, "Harvest" est une pièce subdivisée en trois pans. C'est aussi sans doute le point culminant de l'écoute. Introduction lancinante sur fond de roulement de batterie et de notes grêles égrenées par une six cordes squelettique, puis le titre semble commencer à prendre son envol, à gagner en puissance. L'atmosphère est y sinistre, humide. S'arc-boutant sur une basse épaisse comme le mazout, le tempo change ensuite de visage, plus lourd encore et ce, jusqu'aux dernières mesures qui s'effacent peu à peu. Secrets Of The Moon aime prendre son temps pour dessiner un climat frissonnant et dépouillé, la plastique qu'il érige est dure et parfois très agressive, témoin le ténébreux "For They Know Not", synthèse parfaite de l'identité des Allemands : entame lente, riffs vicieux, ambiance pesante et ornements minimalistes mais qui suffisent à creuser un profond sillon dans la mémoire. Pas d'esbroufe ici mais toujours ce sens du trait épuré et âpre. Si les claviers sont parfois de mise ("Harvest", "Shepherd"), ils se fondent dans un bloc dont les arêtes sont surtout taillées par des guitares prisonnières d'une croûte de givre, comme peut l'exprimer par exemple le terrible "Queens Among Rats". Curieusement, Privilegivm s'achève sur une note plus mélodique et posée, le contemplatif "Shepherd", drapé dans des sonorités comme échappées d'un Mellotron hanté et illuminé, outre le chant clair, par un solo cristallin et ce, en dépit d'une dernière partie plus abyssale. Un chef-d'oeuvre, on peut le dire, monstrueux et crépusculaire. Une question toutefois : comment le groupe pourra t-il surpasser ce qui s'impose déjà comme la pierre angulaire de sa carrière ? (2009) ⍖⍖⍖⍖
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