Etrange trajectoire que celle d'Asgaroth, horde modeste de black metal qui a vu la nuit en 1995, commence par forger quelques rondelles sans grand relief dans une veine un peu pagan (The Quest For Eldenhor, Trapped In The Dephts Of Eve...), entame sa mue vers une musique plus sophistiquée avec l'album Absence Spells Beyond... en 1999, dont la reprise du "Epitaph" de King Crimson (est-ce vraiment nécessaire de le préciser ?) reste le moment fort, confirme cette évolution avec Red Shift, qui permet à ces Espagnols de décrocher dans la foulée un contrat avec le label Peaceville qui le réédite deux ans plus tard, première marche vers une reconnaissance finalement sabordée par le groupe lui-même qui décide en 2007 de se séparer, incapable de canaliser l'inspiration de chacun de ses membres. Dommage vraiment car ce qui demeure son testament dessinait un black metal avant-gardiste tout à fait prometteur. Le socle de Red Shift, résolument synthétique, repose essentiellement sur des synthétiseurs mangeurs d'espace et que souligne le recours d'une boîte à rythme, seul vrai bémol d'une plastique néanmoins puissante et sombre. Malgré tout, les guitares ne sont pas en reste ; elles érigent même, quand elles obtiennent la parole, une cathédrale à la beauté ténébreuse, comme en témoigne l'excellent "Bluntness" ou bien encore "Mindscape".
Toutefois, ce sont clairement les claviers et les machines qui pilotent l'ensemble par le biais d'une palette de sons à la tessiture multiple, allant du piano ("Buried", "Bloodmarks") aux nappes électroniques voire carrément symphoniques ("Mindscape") ou progressive ("Red Shift"). Parfois difficile à suivre, cet essai s'architecture autour de onze pistes grouillantes de détails, d'éléments qui fusionnent en un tout pourtant assez digeste. Et s'il se drape dans un voile ténébreux, seul indice quant à son origine géographique, Red Shift tend surtout le regard vers la Norvège, celle de ses explorateurs, Artcurus en tête, et ce faisant, permet à Asgaroth de rejoindre le rang de ces entités pour qui l'Art Noir sert de terreau pour toutes les recherches possibles. De fait, cet album n'a de black metal que certains atours (un sens des atmosphères luxuriantes, des riffs tranchants, des vois de gargouilles...), car sa trame dépasse largement le cadre dans lequel ses géniteurs évoluaient jadis. A l'époque, certains ont évoqué le vocable d'"extrême progressif" pour tenter de définir la nature d'un modelé aux formes alambiquées et riches d'influences (tellement) diverses. Et sans être un chef-d'œuvre, Red Shift, au détour de quelques compositions de très haut niveau (dont la meilleure d'entre elles, "I, Befouled", sans oublier "Naked Eye", qui annonce tout de suite la couleur pleine de modernité en ouverture), montre un travail d'écriture et d'arrangement foisonnant, mais qui conserve tout de même une grande clarté. Les lignes de chant témoignent d'une vraie maîtrise. Un disque intéressant qui nécessite un bon nombre d'écoute pour en percevoir toute la richesse et dont on aurait souhaité qu'il ne reste pas orphelin... (2009 | MW) ⍖⍖
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