Le metal suisse est un peu à l'image de la situation tant géographique que politique du pays qui l'abrite : isolé, à part, singulier. Il suffit de songer aux travaux uniques en leur genre des Coroner et autre Celtic Frost pour s'en convaincre. Ca tombe bien, Pÿlon vient justement de ce petit bout de terre coincé en Europe, ce qui n'est pas surprenant. A première vue, ce groupe pratique du pur doom metal dans la grande tradition du genre, celle de Candlemass, Solitude Aeturnus ou Count Raven, auquel on est bien obligé de penser, tant les riffs que les petits Suisses usinent convoquent ceux des Suédois. Son nom résonne comme une déclaration, de même que celui de sa troisième hostie. Doom. Difficile de faire plus clair. Pourtant, une écoute attentive témoigne que le paysage sonore n'est pas aussi plat que prévu. Le visuel, tout en teintes douces, et porteur d'une certaine luminosité, constitue un premier indice. La musique ensuite, si elle respecte à la lettre les règles édictées par les Grands Anciens, à commencer par les sentiments dont elle est le réceptacle, tels que la tristesse ou l'affliction qui forment le socle d'un art d'une lourdeur de pachyderme, est truffée d'idées (à l'instar de cette flûte lors du final du cristallin "Beneath, Beyond", les effets lointains de "Psych-Icon" ou le mellotron hanté de l'instrumental "De Rerum Sanctarum Una"), d'éclairs salvateurs qui propulsent cet album vers des sommets inattendus. Toute la personnalité de Pÿlon réside de cette capacité à éviter un monolithisme fâcheux pour au contraire constamment enrichir, non pas en matière grasse mais en développements inattendus, ses compositions fleuves.
De fait, je ne peux conseiller ce disque à tous les détracteurs de ce genre qui se complaisent bien (trop) souvent à ne voir en lui que chiantise absolue. Ecoutez l'immense "Doomstone", vous m'en direz des nouvelles ! Tout ce qui fait la puissance, la majesté du doom s'y trouve concentré. Lent, lourd, tragique et à vous faire pleurer des torrents de larme. Et ces parties de guitares qui vous hérissent le poil tant elles irradient une beauté ténébreuse. Ecoutez "Ho Theos Erchestai", et son orgue aux sonorités liturgiques, véritable cathédrale qui semble vouloir abriter toute la souffrance du monde. Que dire aussi du sabbathien "In The Shade", dont les accords telluriques auraient pu naître dans le cerveau ombrageux du grand Tony Iommi., du funéraire "Dead Love" ou de "An Angel Tale" et son solo du feu de dieu. Et puis, de toute façon, il suffirait de s'abîmer uniquement dans les effluves minérales et mélancoliques de l'inaugural "Renovatio", long périple de plus de dix minutes à travers de multiples ambiances parfois aux confins des seventies voire du progressif, pour comprendre que l'on tient là du lourd, du qui vaut son pesant de cacahuètes en plomb. Malgré la noirceur granitique qui pleure de cette guitare directement branchée dans les entrailles de la terre ("Dream A Dream"), il y a une telle pureté dans ces complaintes imprégnées d'une réelle forme de religiosité que l'on ne peut qu'être touché par cet album impressionnant de maîtrise venant d'un groupe auquel on s'était peu intéressé jusqu'alors. Bref, un vrai cours de doom, classique sans être si orthodoxe que cela, en treize leçons qu'il est nécessaire de relire et de relire encore pour pouvoir espérer un jour en avoir fait le tour. Pÿlon n'est pas passé loin du chef-d'oeuvre. (2009)
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