Dream Theater et moi, c'est comme une
longue et tumultueuse histoire d'amour faite de ruptures et de réconciliations.
Nous nous sommes rencontrés en 1992 avec son second opus, Images
And Words, que d'aucuns considèrent - à raison - comme sa pierre
angulaire et comme l'une des pièces maîtresses et matricielles du metal
progressif. Mais le bonheur est de courte durée et je quitte les Américains
l'année suivante ainsi que toute la scène metal du reste. Pourtant en 1998,
lorsqu'ils publient leur (premier) double live, Once
In A Livetime, nous nous rabibochons et je suis par la suite leur
évolution, observateur anonyme, vers une musique de plus en plus puissante et
musclée bien que toujours aussi alambiquée comme je me félicite du recrutement
de Jordan Rudess aux claviers en lieu est place de Derek Sherinian, fade
remplaçant du génial Kevin Moore. La rupture est de nouveau consommée en 2003
avec Train Of Thought, qui les voit se prendre pour les Metallica du
prog. Je crois alors que notre relation est terminée. Je me trompais car Black
Clouds & Silver Linings est
le théâtre de nos retrouvailles après six ans d'éloignement. Pourquoi ce
dixième album réussit-il à recoller les morceaux. Parce qu'il est très bon ?
Certes mais ses prédécesseurs l'étaient déjà tout autant. Dream Theater reste
depuis ses débuts attaché à des standards de qualité particulièrement élevés.
Mais alors pourquoi ? Tout simplement - quoique rien n'est jamais simple avec
eux - car ce disque est parvenu à synthétiser les multiples directions que le
collectif a arpenté durant sa (déjà longue) carrière, là où ses devanciers
semblaient alterner metal moderne (Train
Of Thought, Systematic Chaos) et pur
chef-d'oeuvre progressif (Octavarium).
De fait, Black Clouds & Silver Linings se pose comme une oeuvre fédératrice,
très proche parfois du diptyque Images And Words et Awake mais avec la touche surpuissante des
derniers albums. D'entrée, les fans de la première heure seront rassurés car
"A Nightmare To Remember" est une longue pièce d'un quart d'heure
d'une belle flamboyance opératique, riche d'un chapelet d'ambiances aux allures
de bandes originales de film. Il va de soi que les musiciens touchent leur
bille, notons toutefois un James LaBrie excellent bien que les détracteurs de
la formation l'ont toujours accusé d'être son point noir. Sa voix s'avère
pourtant indissociable du son Dream Theater dont on imagine mal qu'il puisse
être propulsé par un autre chanteur. On y perçoit même quelques chants presque
death/black, tandis que Rudess libère un lit de sonorités seventies du plus bel
effet.
Avec sa basse pleine de rondeurs en guise d'ouverture, "A Rite Of
Passage" affiche des couleurs sombres et modernes, cependant que le
refrain s'ancre très vite dans la mémoire. Plus court, ce qui est ici tout
relatif bien entendu, cette composition est fracturée par un pont titanesque,
où claviers et guitares s'affrontent en une joute orgiaque. Manière de pause
qui scinde l'écoute en deux, "Wither" est une ballade comme les
affectionne Dream Theater. Pas sa plus réussie certes mais grâce à la
performance chaleureuse de Labrie, elle se révèle des plus agréables. Puis
c'est l'enchaînement infernal avec trois pistes qui voisinent avec les trois
quarts d'heure ! Lourd et agressif (un Megadeth n'est parfois pas loin),
"The Shattered Fortress" est une pièce ébouriffante qui fait plus que
fleurter avec le grandiose. Les soli se succèdent, notamment ceux de Jordan
Rudess, qui dégoulinent de partout pour notre plus grand plaisir. Et il y a
toujours cette confusion à laquelle parviennent ce dernier et John Petrucci
tant leurs instruments respectifs réussissent à se confondre l'un avec l'autre.
C'est très net avec ce morceau qui s'achève par un clin d'oeil au passé du
groupe. "The Best Of Times", quant lui ne prend son envol qu'après de
longues minutes jouissives, plage zébrée par de nombreux atmosphères qui n'est
pas sans évoquer Metropolis pt II, cependant que le
guitariste y délivre en son final un passage superbe à vous foutre des
frissons. Enfin, malgré son rythme alerte et son assise implacable, "The
Count Of Tuscany" a tout de l'hommage au pur progressif technique et
démonstratif des années 70, celui des Yes et ELP, surtout lors de ses premières
mesures. Etonnamment, il dessine un panorama instrumental en son milieu qui
joue davantage sur la sobriété et les ambiances que sur l'étallage de notes à
tous les étages avant de s'en aller très haut vers le divin. Black Clouds & Silver Linings ne devrait donc pas décevoir les fans
passionnés du groupe qui trouveront là matière à asouvir leur soif de
virtuosité et de construction tarabiscotée. Notez que les éditions limitées
comprendront un disque de reprises ("Stargazer" de Rainbow, un medley
Queen période Sheer Heart Attack, "To Tame A
Land" de Iron Maiden...) et une version vierge de chant. (2009)
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