29 mai 2020

Aeonian Sorrow | A Life Without (2020)




Aux côtés de Swallow The Sun dont l'expression se veut toutefois plus mélodique, Shape Of Despair demeure la figure tutélaire du (funeral) doom death à la finlandaise. Malheureusement plutôt avare de sa semence mortuaire et gelée, le groupe de Jarno Salomaa laisse les flagellants que nous sommes esseulés depuis de trop longues années, contraints dès lors de tamiser la terre des milles lacs à la recherche de ses rejetons spirituels. Parmi ces pis-aller, Aeonian Sorrow pourrait bien, plus que d'autres, combler le vide creusé depuis "Monotony Fields" (2015). On croise ainsi dans ce sextet une même dualité vocale à base de growls d'outre-tombe et de fantomatiques mélopées féminines ainsi que cette propension à la mélancolie blafarde, même si "In Shades Of..." et "Angels Of Distress" resteront de toute façon des mètres-étalons aussi inégalés qu'inégalables. Certes élève appliqué de cette école septentrionale de la dépression, cette jeune pousse n'est pourtant pas totalement finlandaise (ce qui ne s'entend pas du tout) puisque déjà sa chanteuse, Gogo Melone, est grecque. Davantage qu'un simple artifice ou une séduisante vitrine, la belle s'avère d'ailleurs la force motrice de ce groupe au sein duquel elle assure également les claviers et surtout une bonne part de l'écriture. Depuis 2019, le Roumain Daniel Neagoe, musicien aux multiples talents et véritable activiste de la chapelle doloriste (Clouds, Eye of Solitude, Pantheist) a rejoint le collectif à la batterie, également renforcé par le six-cordiste Jukka Jauhiainen et le chanteur Ville Rutanen, tous deux membres de Red Moon Architect (à l'instar du bassiste de Pyry Hansi et du second guitariste Taneli Jämsä !) transformant du coup Aeonian Sorrow en son (faux) frère jumeau. Cet afflux de sang neuf explique peut-être l'excellente tenue de "A Life Without", EP quatre pistes succédant au single "Forever Misery" et au LP "Into The Eternity A Moment We Are", au demeurant solides et prometteurs mais vierges de la magie recherchée et de ce supplément d'âme qui sépare le bon grain de l'ivraie.



La (bonne) surprise n'en est donc que plus grande lorsque les premières notes de 'The Endless Fall Of Grief' sont lancées par des notes de piano funèbres que soulignent des nappes de claviers engluées dans la brume. Et lorsque ces borborygmes abyssaux qui font trembler les murs surgissent, on mesure alors qu'Aeonian Sorrow a clairement franchi une étape en termes d'atmosphères suicidaires et de langueur funéraire que le pinceau de la chanteuse vient colorer d'une beauté dramatique. Le résultat est magnifique et surpasse les précédents travaux des Finlandais. Cette vague émotionnelle emporte également une ode désespérée comme 'Hopeless Suicide', que tissent guitares et claviers englués dans la résignation la plus funèbre. Plaintes féminines pleines de regret, chant clair masculin déchirant de tristesse et éructations d'outre-tombe s'affrontent en un combat qui ne peut déboucher sur la mort. Il ne faut jamais avoir connu la solitude ni croisé la grande faucheuse pour ne pas sentir une larme couler sur la joue. Conjuguée à une partition que drape un linceul fantomatique, cette richesse vocale impressionne tout du long, témoin ce 'My Solitude', bouleversant, qui se dresse dans toute sa flamboyance contrite, cathédrale enneigée qui accueille une amertume infinie. S'il ne sonnera jamais comme le plus dépressif de ces architectes de la douleur (mieux vaut s'abîmer dans les arcanes du récent "The Sadness of Time Passing" de Profetus pour cela), Aeonian Sorrow synthétise pourtant à merveille ce qui fait la magie du doom death finlandais, plus mélodique que suicidaire sans aucun doute mais dessinant avec ce fusain unique les rivages désolés de paysages imbibés d'un éther cafardeux et pourtant ô combien romantique (ce 'One Love' toute en poésie mortuaire). Fort d'un équipage enrichi, Aeonian Sorrow démontre avec "A Life Without" de belles qualités, qui jusque là ne faisaient qu'affleurer, ce qui le positionne parmi les héritiers les plus prometteurs de cette tradition typiquement finlandaise d'un funeral doom d'une glaciale élégance. (19.03.2020 | Music Waves) ⍖⍖⍖


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