En
2009 déboulait sans crier gare Do It Yourself, premier crachat indescriptible
du tout aussi indescriptible Yuck. Hardcore, grunge, Death et Black Metal y
étaient passés à la moulinette par des activistes de la scène électrique
normande (et de Rouen, pour être précis) avec une rare inspiration et une
puissance explosive. L'album ne ressemblant à rien de vraiment connu, nous nous
demandions donc dans quelle direction son successeur pourrait se diriger. Tout
était permis, un vaste espace s'ouvrant pour ces musiciens épris de liberté et
refusant d'être inféodés à une quelconque tendance. Onomatopée signifiant plus
ou moins "beurk", Yuck n'a sans doute jamais mieux mérité son nom
qu'avec ce This One Is Good déjanté et plein d'une perversité trouble, que
seules une même énergie et une volonté identique de n'en faire qu'à sa tête semblent
rapprocher vraiment de Do It Yourself avec lequel il diffère en bien des
points. Du moins, à première vue. Saillie capable de faire saigner les
mucqueuses, cette galette étonne tout d'abord par sa brutalité épidermique, que
sa prise de son, sèche et rugueuse renforce encore davantage. Dès
"Legacy", on est attrapé, entraîné dans un maelström où bouillonnent
le chant rapeux de Jérémie et que de nombreuses cassures rendent perturbant. A
la ligne droite rassurante, Yuck préfère les vicieux détours, les angles morts.
Faussement simples, ses compositions sont constamment polluées par une folie
sournoise. Rampante. Si les premières pénétrations pour le déflorer pourront
peut-être frustrer, l'oeuvre renvoyant une image de viol basique sans vaseline,
les écoutes aidant, on mesure peu à peu l'impressionnant travail autant
d'écriture que de réalisation que le groupe a abattu, chaque titre dévoilant
progressivement un substrat extrêmement riche que recouvre une allure générale
abrupte, une linéarité trompeuse, suintant une urgence bruitiste, la même qui
guidait finalement Yuck lors de sa naissance. This One Is Good déroule en
réalité une structure très dense, ombrageuse et torturée. Au-delà des lignes
vocales vindicatives et variées, ce sont clairement les guitares, rongées par
une lèpre au goût de rouille, qui propulsent, vrillent une écriture dont on a
l'impression que ses auteurs ont cherché à lui conférer une rage primitive et
désespérée ("Bad Luck"). De "I Will Not Close My Eyes",
déchiqueté par des assauts Black Metal déglingué, à "We search For
Soul" et ses relents de Rock'n'Roll que gangrène une folie contaminatrice,
de "Alone In Heaven" que percent des accords superbes, au sombre
"Noctum", les orgasmes se répêtent jusqu'au jaillisement final d'un
fluide malsain que poisse une mélancolie infinie, "To Redemption",
pulsation squelettique et corrosive, déjà présente sur l'opus précédent à la
même position terminale, tissant ainsi un lien entre les deux oeuvres et qui
confirme toute la noirceur épileptique d'un album ambitieux plus difficile
d'accès qu'il n'y parait en cela qu'il avance caché, masquant sa véritable
identité sous un jour plus dépouillé alors qu'il est truffé de plans et
d'influences diverses parfaitement digérés par des musiciens qui savent
clairement où ils vont. Yuck fait dans le syncrétisme, hybride les genres, les
ambiances, les couleurs, bien qu'elles soient toujours peintes avec les teintes
du désespoir, pour aboutir à un magma sonore bouillonnant aussi hargneux
qu'hypnotique, au final pas si éloigné que cela de Do It Yourself dans
l'esprit. Et encore une fois soyons sur qu'inclassable comme il est, le groupe
ne saura trouver son public trop habitué aux confortables catégoratisations,
freiné par un succès inversement proportionnel à une inspiration que l'on
devine sans limite(s). Une de nos meilleures formations, assurément. 4/5 (2011)
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